Mes écrits


Vous trouverez dans cette rubrique 3 articles

1/ De la rupture avec l’aide de l'Etat au retour à la famille et à la région, méfiance exagérée ou circonspection salutaire?

2/ Les Algériennes chefs d’entreprises: Un démarrage difficile et un avenir prometteur

3/ Analyse sociologique de la place du féminin en terre d’Islam , Le féminisme caché du Soufisme,  ou l’Islam du quotidien




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De la rupture avec l’aide de l'Etat au retour à la famille et à la région
méfiance exagérée ou circonspection salutaire?

                                                                                           Communication de S. KHODJA , Chercheuse Associée - CREAD



Colloque International : « Création d’entreprises et territoires »  Projet CMEP : CREAD - CREUSET
Tamanrasset : 03 et 04 Décembre 2006   

Résultats d'une enquête menée  sur le terrain par le CREAD auprès de PME algériennes (2004)


Résumé.

Le chef d’entreprise qui a accepté de répondre à notre enquête peut être qualifié de la façon
suivante : c’est un homme d’un certain âge, avisé, et autonome de l’Etat, dont la devise pour réussir
son entreprise est : famille, région et prudence. Ce profil s’il ne représente pas tous les chefs
d’entreprises algériens, il en symbolise certainement une partie non négligeable.
Ses caractéristiques essentielles peuvent être décrites comme suit :
1. Le profil type du chef d’entreprise qui réussit : un homme ‘’futé’’ qui pense avoir compris
comment fonctionne le secteur de l’investissement, un homme âgé, avisé, de niveau scolaire
élevé et attaché à sa région, qui a appris à se ‘’débrouiller’’.
2. C’est un homme qui veut être autonome par rapport à l’Etat, qui veut créer son propre emploi
et qui donc se fait aider par sa famille. En quête d’autonomie et de sécurité, il décide de
prendre en charge sa vie en créant sa propre entreprise.
3. C’est un homme qui a fait ses premières armes dans le secteur privé du commerce et de
l’industrie et qui cherche à valoriser cette expérience en s’appuyant sur les valeurs de la
famille et de la région.

4. C’est un homme pragmatique qui a appris à saisir les opportunités. Ce n’est ni un aventurier ni un créateur, il copie ce qui existe et réussit, et ne fait presque jamais appel aux bureaux d’études. Dans un marché où la demande est très importante, il se donne tous les moyens du succès.
5. On est bien loin du capitaine d’industrie du début de l’ère industrielle, entreprenant et
laborieux, qui lance des défis technologiques et financiers. Il ne s’autorise pratiquement aucun
faux pas et cherche à valoriser ses atouts familiaux et régionaux ainsi que son expérience
professionnelle.
Conclusion
On peut se demander si cette prudence est non fondée et stérile ou au contraire si elle ne représenterait pas une voie salutaire pour s’assurer le succès.
 
L’objet de cette conférence est de tenter de reconstruire à partir d’une enquête sur le
terrain le profil et le comportement de l’industriel algérien qui a investi dans le domaine de la
PME/PMI. La démarche adoptée se situe délibérément dans le cadre de l’approche systémique en vue d’identifier les relations de renforcement positives ou négatives entre les caractéristiques de l’environnement institutionnel et celles de l’investisseur. Pour ce faire il s’agira dans un premier temps d'explorer la situation macroéconomique en vue de mettre en exergue les éléments, favorisant ou contrariant
l’investissement. On cherchera donc à identifier les caractéristiques générales d’une part de
l’environnement ou ce qu’il est généralement convenu d’appeler le climat des affaires dans
lequel l’acte d’investir s’effectue et d’autre part celles de l’entreprise créée. La deuxième
étape tentera de cerner le profil de l’investisseur et son comportement d’investisseur. On
pourra dès lors tenter d’identifier et d’analyser les relations entre ces deux constituants d’un
même système.
Ces éléments combinés entre eux devraient pouvoir nous donner des indications
suffisamment pertinentes pour apprécier l’état de santé de la PMI/PME aujourd’hui en
Algérie, sa relation avec l’environnement dans lequel elle est inscrite et plus
particulièrement la capacité du système dans son ensemble à pouvoir devenir un moteur
pertinent de la création de richesses et d’emplois.
Mentionnons que cette étude s’achèvera par une note méthodologique regroupant
une liste des problèmes rencontrés lors de la réalisation de cette enquête et livrera donc des
indications méthodologiques à soumettre à la discussion


1.L’environnement institutionnel de l’investissement
Selon nombre d’observateurs de l’économie algérienne celle-ci connaît, aujourd’hui, un redressement remarquable très largement supérieur à celui qui a été le sien depuis l’entrée de l’Algérie dans l’économie de marché au début des années 90. Ainsi, la croissance de l’économie est évaluée à 6,8%, la hausse des revenus des ménages serait de 12%. Le chômage connaîtrait un net recul grâce à la création de 2 millions d’emplois ces cinq dernières années et de 730.000 emplois en 2003. Enfin, l’inflation est maintenue à un niveau acceptable de 2,6%. Toutes ces performances sont dues, essentiellement et toujours selon les mêmes analystes, à la mise en place du plan triennal de soutien à la relance économique (PSRE) qui a bénéficié de la somme de 7,7 milliards de dollars. Notons que
ces chiffres sont ceux de 2004, année de réalisation de l’enquête. Ceci permet de comparer ce qui est comparable.

Ces succès sont bien sûr la conséquence de l’élévation du prix du baril qui permet aujourd’hui à l’Algérie de disposer de réserves de change estimées à plus de 66 milliards de dollars. Ce qui retient notre intérêt à la lecture de ces chiffres, dont beaucoup bien que difficilement vérifiables indiquent néanmoins des tendances réelles, c’est de savoir comment l’entreprise privée a pu saisir ou non cette opportunité pour lancer un cercle vertueux de sa propre croissance. Justement, face à cette liesse générale, certaines voix discordantes se sont élevées dont celle du CNES, qui note en 2004 que cela ne permet pas de transformer les impulsions de croissance en dynamique de développement en raison de la faible capacité du secteur privé à transformer cette opportunité en une dynamique de croissance.Cette accusation semble tomber comme un couperet sur la tête du secteur privé et annoncer des lendemains sombres pour la réalisation du PRSE : le secteur privé est accusé par beaucoup, très clairement et fortement, d’incapacité à profiter de cette situation pour traduire cette chance en possibilité de développement
Cette accusation qui fait jouer au secteur privé un rôle peu glorieux est cependant toujours tempérée et accompagnée par une liste de problèmes qui handicapent celui-ci, lui donnant ainsi et en quelque sorte l’absolution. Citons en rapidement quelques unes. Parmi ces obstacles, les difficultés d’accès au foncier industriel reviennent toujours sous toutes les plumes, comme causes premières et cela en raison des conditions d’accès à la propriété des terrains : prix élevés, multiplicité des institutions pour l’accès aux terrains, l’absence d’une réglementation claire, etc. De nouvelles dispositions ont été prises récemment quant à la cession du foncier industriel, mais au moment de notre enquête en 2004 cet argument était le plus souvent cité. Certains rajoutent aussi le week end du jeudi /vendredi, la grande dévaluation du dinar et l’accord d’association avec l’UE qui rendent le prix d’acquisition des équipements très onéreux. Ceci augmente la durée d’amortissement des investissements consentis, augmente le prix des produits mis sur le marché, et rend donc l’entreprise algérienne très peu concurrentielle, malgré un coût de la main d’oeuvre jugé très bas mais qui ne suffit pas à compenser ces pertes. C’est finalement le salarié qui supporte toutes les retombées de ces lacunes ainsi que le consommateur qui doit se contenter de produits de faible qualité au prix élevé.
La Banque Mondiale, dans ses divers rapports sur  le climat des investissements en 2004, dresse, elle aussi,  une liste de contraintes macro-économiques plus particulièrement dans le domaine financier qui restreignent le développement du secteur privé. Ainsi, elle signale en premier l’absence de transparence du système bancaire  insuffisamment adapté aux normes internationales. L’accès au crédit, la mobilisation des ressources extérieures, entre autres, en deviennent forcément plus difficiles. Elle note également que l’Etat reste le principal investisseur (PSRE, PNDA) et cela pèse sur les dépenses publiques. Le secteur privé participerait donc avec une part infime à cet investissement.
Le rapport commun de la société financière internationale et de la BM sous le titre la
pratique des affaires en 2004, éliminer les obstacles à la croissance signale, également, des
difficultés dans l’accès au crédit et note que seules 11% des entreprises qui le sollicitent
parviennent à l’obtenir et doivent en raison de cela supporter en outre d’importants
surcoûts. Les lenteurs bureaucratiques constituent une entrave et non des moindres à
l’investissement puisque selon ce même rapport, il faut, en Algérie, 100 jours et 11
procédures contre 6 procédures et 27 jours dans les pays développés, pour lancer un investissement. Ce qui entraîne forcément des surcoûts pour l’investisseur. Tous ces analystes notent que cette situation a encouragé très fortement le  trabendo, l’activité informelle, l’absence de confiance et par conséquent le désinvestissement.
En d’autres termes et si on retient ces remarques, l’Etat qui n’aurait pas fait les réformes nécessaires serait le grand responsable en cas d’échec du PNSRE. Par conséquent on ne peut accuser le secteur privé d’une sorte d’incapacité intrinsèque à traduire en réalités concrètes les objectifs du plan de croissance. Parlons plutôt de difficultés à pouvoir le faire. Ce qui modifie complètement l’angle d’approche des résultats du PNSRE ainsi que leur analyse. L’intérêt de cette recherche 
sur l’apport des PMI/PME au développement territorial est qu’elle confirme largement ce diagnostic bien que le nombre de répondants soit faible. Elle apporte, en effet, suffisamment d’indications significatives qui mettent en exergue ces tendances lourdes et en valide si besoin est la valeur scientifique. Cette conférence nous permettra de corroborer largement ces allégations et nous interroger dans le même temps sur les moyens pour ne pas dire astuces utilisées pour contourner ces difficultés. Car face à de si lourds blocages le chercheur est bien obligé de se demander comment quelques uns réussissent malgré tout à les contourner. Trouver une réponse à cette question fondamentale justifierait largement cette enquête.
Le propos ici est de montrer comment les entrepreneurs que nous avons interrogés ont pu malgré toutes ces entraves lancer et réaliser un projet d’investissement . Plus prosaïquement on peut se demander comment se sont-ils débrouillés ? Serait-on toujours en présence de cet esprit de débrouillardise dont parlait déjà Bourdieu dans Travail et travailleurs en Algérie ?

A titre comparatif notons ces données qui sont, sinon inquiétantes du moins interpellent fortement le chercheur qui s’intéresse au rôle de l’entreprise algérienne dans le développement territorial : plus d’un tiers des entreprises algériennes sont installées en Europe. Ainsi L’INSEE a recensé 99.000 chefs d’entreprises d’origine algérienne en Europe dont une majorité exerce en France . Ils emploient 2,2 millions de personnes et leur chiffre d’affaire global consolidé dépasse 15 milliards d’euros, selon une première estimation. Ce qui confirme une vérité partagée par tous, l’entrepreneur s’installe là où il trouve les conditions les plus favorables pour faire fructifier son capital. Ceci est valable aussi bien pour les Algériens que pour les IDE.
En Algérie, il existe 230.000 PME , à peine deux fois plus qu’à l’étranger, dont 30%
sont concentrées au centre du pays en raison de la proximité des infrastructures et
services : ports, aéroports, téléphone, etc. Entre 2000 et 2004 l’évolution de ce secteur est à
peine de 8% et 77% des entreprises sont privées : elles se situent dans le secteur de la
distribution et la construction.1
Pour comprendre cette situation des plus surprenantes, essayons de voir de plus près
les rapports entre l’entreprise algérienne et son environnement. Cela nous donnera peutêtre
quelques explications.
2. Les conditions de la création de l’entreprise : La majorité des personnes enquêtées confirme avoir connu les épreuves citées plus haut puisque la majorité signale la faiblesse des incitations et aides publiques, bien que cette situation semble s’améliorer ces dernières années . En effet, seules 70 personnes soit 36% de cette population a déclaré avoir recouru aux aides publique. Cette aide évolue progressivement bien que très lentement . Aucun avantage financier n’est à signaler avant 1962. Aucun non plus de 1963 à 1970.  Une toute petite minorité (2%) a obtenu un crédit bancaire et 0,5% a profité des avantages de l’APSI, entre 1971 et 1980.

Une autre petite minorité (5%) a obtenu un crédit bancaire et 1% a profité des avantages de l’APSI, entre 1981 et 1990. C’est entre 1991 et 2000 que la majorité (22%) a obtenu un crédit bancaire et 25% a profité des avantages de l’ANDI . Ce qui tend à prouver que les premières réformes commencent à porter leurs fruits bien qu’elles soient encore largement insuffisantes. Les derniers chiffres données par Hamid Temmar indiquent un recul inquiétant de l’investissement.
A la question concernant  les structures qui ont soutenu l’entreprise depuis sa création,   54% citent
l' A NDI.APSI 

3.Les caractéristiques générales de l’entreprise et de l’entrepreneur

Pour mieux appréhender cette situation caractérisée par l’ensemble des problèmes cités regardons les caractéristiques de l’entreprise et le profil de l’entrepreneur car cela peut donner des indications intéressantes sur qui peut contourner ces écueils et comment le fait-il? Une première donnée est à relever : les branches d’activité dans lesquelles ces investissements ont été réalisés sont celles où semble-t-il les chances de réussite sont les plus importantes, en raison de la forte demande qui les caractérise. Pour un peu plus du quart des entreprises il s’agit d’activités agroalimentaires, suivies par textiles et cuirs, chimie et pharmacie, et enfin bois et papier. Une clientèle importante, fidèle et peu exigeante est assurée en raison de la faiblesse de l’offre dans ces secteurs.Quant aux activités des autres 30 entreprises ( 15,6%), il s’agit de :Mécanique - métallique =
  
Première conclusion, les entreprises qui ont le plus de chances de réussite sont desSARL, avec un nombre infime d’actionnaires, localisées prioritairement dans les secteurs de l’agroalimentaire et du textile, essentiellement de la distribution.  La majorité (108 = 56,%) n’a qu’un actionnaire et près d’un quart deux actionnaires (45 = 23,3%).

Partant de ces observations préliminaires essayons de voir de plus près les caractéristiques sociologiques de l’homme qui réussit à créer une entreprise dans un environnement aussi complexe. Cette approche peut être riche d’informations intéressantes pour bien saisir la sociologie du management algérien. Ainsi la lecture des  données liées à l’âge nous livre les informations suivantes:Il s’agit d’une population plutôt âgée dont près de 60% dépasse les 50 ans.  Un quart a plus de 50 ans (25%). Plus d’un tiers ( 35% ) est âgée de plus de 60 ans, il s’agit donc de personnes normalement à la retraite. Les autres 37% regroupent les personnes dont l’âge varie entre 26 ans pour le plus jeune et 41 ans pour le plus âgé.
Concernant  leur niveau scolaire on relève qu’il est relativement élevé puisque puisque
56,5% d’entre eux a un niveau de formation équivalent au secondaire et au supérieur et que
près de 21% a suivi une formation professionnelle.
Secondaire : 34,2%

Supérieur : 22,3
S/Total :  56,5
Format. prof : 20,7%
Primaire : 21,2%
S/Total : 41,9%


On relève ici une première donnée essentielle et presque commune à tous ces investisseurs qui tentent l’expérience de l’investissement : leur niveau élevé en termes d’expérience professionnelle et de formation puisque ils sont nombreux à avoir occupé auparavant des postes de cadre ou cadre supérieur. Malgré ou en raison de ce passé il est à signaler que près des deux tiers a désiré ou a été obligé de quitter ce poste avec pour objectif la création de son propre emploi. Notons qu’il s’agit d’une population plutôt francophone puisqu’elle maîtrise bien, essentiellement le Français (83%) ensuite l’arabe (49%) et un petit peu l’Anglais pour 12 d’entre eux (6%). On serait presque tenté de dire que sans ce groupe de population aux caractéristiques bien particulières la création d’entreprise serait encore plus faible qu’elle ne l’est déjà. Il faut donc être plutôt âgé, avoir un bon niveau scolaire et êtresinon bilingue du moins francophone. Il s’agit d’une population née vers la fin des années 30 ou au début des années 40.
A ce niveau de l’analyse on est amené bien évidemment à s’interroger sur le comportement managérial de l’entrepreneur qui réussit à contourner les ces grands obstacles pour créer malgré tout son entreprise. Pour ce faire il s’agit d’observer ses degrés de mobilité, de créativité, d’autonomie et de prise de risque, qui sont des éléments reconnus comme décisifs dans l’action des grands capitaines d’industries. Nous y rajouterons un quatrième élément lié au degré de modernité de l’entrepreneur qui nous permettra d’avoir une vue d’ensemble sur le comportement managérial de celui-ci et l’apport du secteur industriel à lamodernisation du pays

3.1 Degré de mobilité :

En fait, on ne relève pas une très grande mobilité de cette population de chefs d’entreprises qui, à quelques exceptions près, déplacement vers le chef lieu de Wilaya, réside là où elle est née. Cette faiblesse de la mobilité se constate également dans le secteur juridique puisqu’elle provient essentiellement du secteur privé de l’industrie et du commerce et à un degré moindre du secteur public. Par contre, elle accepte volontiers de changer de secteur d’activité puisque 56% vient d’un autre secteur d’activité. Si on compare les lieux de résidence, actuel et durant ces dix dernières années, on ne constate pas une très grande mobilité géographique chez cette population comme le montre le tableau suivant. Ces chiffres ne sont pas vraiment représentatifs dans le mesure où ils font référence à ceux qui ont accepté de répondre au questionnaire. On ne sait rien des autres qui n'ont pas répondu au questionnaire.

En ce qui concerne leur lieu de résidence actuelle : 
L’ensemble de la population (58%) est issue des wilayas de : Tlemcen (36%); Bejaia (22%); Les 42 % restant vient de : Ghardaia (19%) , Tizi Ouzou (16%) et Blida ( 7%)

Leur lieu de naissance.
C’est en général une population de citadins nés pour plus des deux tiers (71%), en Kabylie (36%) de façon prédominante à Béjaia (20%) et à l’Ouest (35%) de façon prédominante à Tlemcen (31%). Ceux qui sont nés à Ghardaia viennent en troisième position (16%), suivis du centre (7,6%)  Ceux qui sont nés à Ghardaia viennent en troisième position (16%), suivis du centre (7,6%) et de l'Est= 2%. Mais cela ne veut pas dire grand chose car il ne s'agit que de ceux qui ont répondu au questionnaire

3.2 Degré de créativité et d’autonomie 
On constate à la lecture des données une créativité et une autonomie plutôt faibles. Ainsi, très peu ont recouru à un bureau d’étude et se sont limités à l’imitation d’un projet similaire. Pour lancer leur entreprise, le soutien de la famille a été souvent précieux pour la moitié d’entre eux, alors que l’aide des relations professionnelles a été plutôt faible puisqu’un tiers à peine a pu ou dû y recourir. Outre le peu de mobilité géographique déjà relevé, on constate ici aussi le recours à la famille. En d’autres termes la proximité semble être une valeur sûre quand il s’agit de lancer une entreprise. L’attachement à la région dans le choix de l’implantation du siège de l’entreprise, comparativement à l’ensemble des autres motifs qui leur ont été proposés, joue un rôle important (80%) puisqu’il est considéré comme très important dans 50% des cas et important pour 30%. Ce désir de proximité est à relever aussi dans le domaine des ressources humaines. A la question suivante : Par quel voie procédez-vous au recrutement de votre personnel, on relève une très grande prudence. Le recrutement grâce à des connaissances est indiqué en deuxième position (38%) alors que l’intervention de la famille et des proches est citée en troisième position (29%). Dans 42% des cas, l’absence de liens avec l’employé est indiqué en première position (42%). En réalité si on additionne les deux premières propositions on se vite rend compte que, encore une fois, c’est la proximité amicale, régionale et familiale qui est favorisée. On peut conclure en notant que l’homme d’affaires qui désire créer son propre emploi
en lançant une entreprise qui réussit est celui qui tente l’aventure dans la ville où il est né et
qui peut compter sur sa famille.  Ces aspects, y compris l’imitation de l’entreprise d’un tiers qui a réussi, indiquent une autonomie très faible, mais peut-être salutaire, au regard des problèmes rencontrés.

3.3 Le degré de prise de risque.

On peut dire aussi que la création de leur entreprise a été souvent pour ces investisseurs, une aventure sans aucune prise de risque puisque près des deux tiers a confirmé ses pronostics après le lancement de celle-ci. De ce fait la très grande majorité (92%) n’a jamais connu la faillite. En ce qui concerne les coûts des investissements et de production, la qualification du personnel, le management, les risques du marché et de la réglementation, la majorité les a considérés préalablement au lancement du projet comme des risques moyens et a été souvent confirmée dans son pronostic. Cette faiblesse de la prise de risques se retrouve également dans le domaine de la branche d’activité choisie, comme cela a déjà été signalé, qui est celle où la demande est plutôt élevée .   
Malgré cette situation plutôt encourageante, le besoin de s’agrandir bien qu’il existe,
ne concerne que moins de la moitié des personnes interrogées (40%). Parmi ceux-là 22% (42) a créé 1 autre entreprise alors que 16% (31) a créé 2 entreprises. Deux d’entre eux ont créé 3 entreprises et deux autres, 4 entreprises. Beaucoup par contre émettent le désir de créer éventuellement  une autre entreprise. Cette prudence peut très bien se comprendre en raison des difficultés évoquées.

3.4 Le rapport à la modernité

Au regard de ces données on est amené fatalement à faire le constat suivant. Le lancement d’une entreprise nécessite de la part de l’investisseur potentiel une capacité particulière à faire coexister des éléments qu’on pourrait considérer comme archaïques tels que l’attachement à la région d’origine, le recrutement de proximité, les faibles tendances à la mobilité et à l’innovation avec tous les autres éléments caractérisant une entreprise moderne tels que: salariat, équipement moderne, utilisation de l’informatique etc. C’est peut-être cet amalgame qui constitue en grande partie la clef du succès. En tous les cas, si cela n’est pas toujours vrai, le chercheur est fortement interpellé par cette donnée qui mérite
certainement d’être approfondie dans des travaux ultérieurs. Ces éléments de modernité se retrouvent également dans le fait que 72,5% (140) des personnes interrogées déclarent être membres de la chambre de commerce et d’industrie ce qui dénote une certaine ouverture de l’entreprise sur son environnement. Un autre élément qui indique que l’entreprise n’est pas fermée sur elle-même, 42%
déclarent entretenir des relations professionnelles avec les autres entreprises de la région (autre que sous-traitance ou relation client/fournisseur). En outre beaucoup sont membre de groupements associatifs, puisque 105 personnes (54%) déclarent être un membres d’une association.  On constate qu'il existe, bien que cela représente une faible proportion, l’entente sur les prix et l’échange d’équipements qui sont les lieux les plus importants de la coopération entre entreprises.
Entente sur les salaires: 11; Echange de travailleurs (14) ; Echange d'équipements (42);  Prêts financiers (9), entente sur les prix (39).

Si on constate une certaine ouverture de l’entreprise sur son environnement force est de constater que toutes les questions qu’on se pose sur le comportement moderne de l’entrepreneur n’ont pas reçu de réponse définitive. Car là aussi , on est bien obligé de se demander si cela ne constitue pas un mariage heureux du moderne et du traditionnel dans lequel celui-ci emprunte les données et le visage du premier. Ne s’agirait-il pas uniquement de cette pratique traditionnelle dans laquelle l’appartenance au groupe règle les relations villageoises ? Ce qui pourrait laisser à penser que la tradition peut très bien être mise au service de données modernes. Le modèle managérial japonais en est une des illustrations les mieux réussies

Conclusion

L’entrepreneur algérien qui a accepté de répondre aux questions de cette enquête socio-économique et de rendre, ainsi, publiques des informations concernant son entreprise, présente le profil suivant : Il s’agit d’un homme âgé de plus de 40 ans, marié, le plus souvent né et résidant à Bejaïa ou Tlemcen et un peu moins souvent à Ghardaia, Tizi Ouzou et enfin Blida. Francophone, il jouit bon niveau scolaire équivalent au secondaire et /ou supérieure. Il crée son entreprise dans la région où il est né, généralement une SARL avec un nombre très faible d’actionnaires et doit pour ce faire appel à l’aide de la famille. On peut faire l’hypothèse qu’en Algérie, le caractère élevé de l’âge, du niveau scolaire, de l’expérience professionnelle préalable dans une entreprise privée et parfois publique, du poste de responsabilité sont souvent des facteurs favorisants pour prendre l’initiative de créer sa propre entreprise et aussi de réussir son projet. Ces caractéristiques rendent plus aisée la communication de l’information sur sa propre personne (ce sont les questions auxquelles il a été le plus souvent répondu) et sur son entreprise. Les caractéristiques scolaires et socioprofessionnelles de la famille d’origine, essentiellement le père, semblent jouer un rôle positif et encourageant. Les particularités comme le niveau scolaire élevé de la famille créée par celui qui prend l’initiative de lancer une entreprise peuvent être considérées comme relevant de ce qu’il est communément appelé la modernité.

On peut donc décrire ainsi le créateur d’une entreprise dans les villes où nous avons enquêtées :
1. C’est un homme qui veut être autonome par rapport à l’Etat, qui veut créer son propre emploi et qui donc se fait aider par sa famille. En quête d’autonomie et de sécurité il décide de prendre en charge sa vie en créant sa propre entreprise.
2. C’est un homme qui a fait ses premières armes dans le secteur privé du commerce et de l’industrie et qui cherche à valoriser cette expérience en s’appuyant sur les valeurs sûres de la famille et de la région.
3. C’est un homme pragmatique qui a appris à saisir les opportunités. Ce n’est ni un aventurier ni un créateur, il copie ce qui existe et réussit, et ne fait presque jamais appel aux bureaux d’étude. Dans un marché où la demande est nettement supérieure à l'offre  il se donne tous les moyens du succès. Pour schématiser, on peut dire que l’homme qui a décidé de lancer sa propre entreprise est une personne avisée, autonome de l’Etat et qui pense avoir compris comment fonctionne le secteur de l’investissement pour pouvoir l’orienter en sa faveur.

Dans ce cas de figure, sa devise première pour réussir son entreprise est: famille, région et prudence.
On est donc bien loin du capitaine d’industrie du début de l’ère industrielle européenne, entreprenant et laborieux, qui lance des défis technologiques et financiers car l’environnement le lui permettait. Il ne s’autorise pratiquement aucun faux pas et cherche à valoriser ses atouts familiaux et régionaux ainsi que son expérience professionnelle. Ce profil s’il ne représente pas tous les chefs d’entreprise algériens, il en symbolise certainement une partie non négligeable. Tout indique que c’est une donnée sociologique
nationale, peut-être justifiée, qui explique d’une certaine façon la faiblesse de l’investissement et la difficulté pour le secteur privé de devenir une locomotive du développement industriel. Elle indique également les réformes à mener pour rassurer cette partie de la population et l’amener à prendre plus de risques. Car si l’investisseur national craint de se jeter dans l’aventure de la création d’entreprise, qu’en est-il alors de l’investisseur étranger ? En plus clair, comment motiver un étranger quand ceux qui
déclarent en répondant au questionnaire qu’ils aiment leur pays osent difficilement tenter  l’expérience ? Si les investisseurs algériens ne sont pas plus timorés que d’autres entrepreneurs dans le monde c’est que le problème est lié à l’environnement institutionnel censé les rassurer et les accompagner dans la réussite de leur projet. La réponse va d’elle-même pour l’investissement dans la création d’entreprise.Car si on devait faire une conclusion définitive à cette réflexion on pourrait dire que
le climat des affaires peut se résumer dans cette formule lapidaire :  ingéniosité contre entêtement et obstruction.  Un module qu’il faudrait peut-être penser à introduire dans les Ecoles de management. Mais malgré tout, la question que nous posions au début de cette conférence reste sans réponse définitive. On peut continuer à se demander si cette prudence représente réellement une voie salutaire pour s’assurer le succès ou si elle est totalement non fondée et stérile et qu’elle persistera malgré les réformes annoncées . Là, bien évidemment,  seul l’avenir nous le dira.

Dans la dernière partie de cette conférence nous allons, comme nous l’annoncions au début de cette intervention, proposer à l’auditoire quelques réflexions méthodologiques

4. Note méthodologique

Il d’abord rappeler que les données dont nous disposons concernent 193 personnes qui ont accepté de répondre, en partie et en partie seulement, à notre questionnaire. L’intérêt de l’analyse des résultats consiste dans le fait que celle-ci donne des informations précieuses aux chercheurs dans la mesure où elle indique clairement quel est le profil des personnes qui acceptent de répondre à un questionnaire, et par défaut donc, ceux qu’ils ne faut pas chercher à cibler. Elle indique également les questions à poser et donc par opposition là aussi celles qu’il ne faut pas poser. Tous les chercheurs ont eu à affronter cet écueil du refus de réponse qui a réduit à néant les efforts des chercheurs les plus chevronnés dont la démarche méthodologique est souvent irréprochable. La non réponse doit être systématiquement étudié dans toute enquête.
Armé de cette conviction profonde, le chercheur aura plus de chances de réussir en s’aventurant dans une recherche dont il est convaincu qu’elle sera féconde et éviter ainsi l’écueil des questions pour lesquels il n’aura jamais de réponse ou des secteurs dont il ne saura jamais rien ou si peu,  que les réponses ne peuvent être considérées que comme insuffisantes pour en tirer des vérités concluantes

Par ailleurs, un certain nombre de non réponses sur des points biens précis peuvent retenir l’attention.

En effet, un petit groupe constitué de 37 personnes (18%) ne donne pas d’informations sur son parcours professionnel précédant la création de l’entreprise. 
Ce refus de réponse concerne également l’étude du projet (41 = 21,2%), l’acquisition du terrain ( 65 = 33,7%), la construction (70 = 36,3%) ainsi que l’acquisition des équipements (31 = 16,1%), le montage et essais (6 = 23,8%) et la mise en production (13 = 6,7%).
Des non réponses concernent essentiellement des données sur le statut juridique, le secteur d’activité, le type d’activité et l’employeur. 30% ne donne aucune information sur la place de l’actionnariat dans la structure financière de l’entreprise.
Les non réponses les plus importantes concernent l’octroi de crédits bancaires et les avantages accordés par l’ANDI qui concernent 64% de la population enquêtée. Beaucoup de de gestionnaires sur les 40 qui ont répondu n’ont pas donné d'information sur leur parcours professionnel ( 25) et sur le nombre de métiers exercés auparavant (20), alors que beaucoup sont plutôt âgés.

Ces refus de réponses mériteraient d’être analysés surtout si on sait que seuls 193 de l’ensemble de personnes qui ont été sollicitées dans cinq wilayas ont accepté de répondre au questionnaire. Cela interpelle d’autant plus que 100% de refus de réponse ont été enregistrées sur un nombre important de questions du questionnaire. On peut se demander quel est le motif qui incite par contre à répondre complètement à certaines questions ? Une étude comparative de l’ensemble de ces cas de figure pourrait éventuellement être pleine d’enseignement et nous permettre de mieux cerner le profil du créateur d’entreprise.
Si la création d’entreprise pour ceux qui ont tenté l’aventure ne semble pas présenter beaucoup de risques, certaines inquiétudes non explicitées clairement semblent encore l’entraver, ce qui expliquerait les non réponses. A moins qu’il ne s’agisse de la culture du secret qui caractérise la culture traditionnelle, comme le signale, là aussi, Pierre Bourdieu dans ses études :  on ne dit pas à l’autre, l’étranger (el barrani) les difficultés de famille. Dans ce cas de figure ceux qui ont accepté de répondre à ce questionnaire indiquent un début encourageant de rupture avec cette tradition de l’opacité plus que séculaire et ouvre la voie à la transparence et à la lisibilité de l’entreprise, ouverture nécessaire pour tout plan de développement national et projet de coopération internationale.
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Les Algériennes chefs d’entreprises
Un démarrage difficile et un avenir prometteur

Résumé

Depuis son indépendance en 1962 et jusqu’à la fin des années 80, l’Algérie a vécu du point de vue économique sous le système de la gestion administrée et sous la direction du parti unique  du FLN, du point de vue politique.

A partir de 1988 de nouveaux textes règlementaires sont édictés ouvrant ainsi la voie à la mise en place de l’économie de marché et à l’ouverture du champ démocratique. Les premières entreprises privées créées et gérées par des femmes font leur apparition alors qu’au même moment des ONG’s défendant les droits des femmes en général et celles des femmes entrepreneures en particulier commencent à s’imposer dans l’espace public.

Plus de 20 ans plus tard, ces entreprises se sont multipliées bien qu’un grand flou entoure leur nombre, leur secteur d’activité, leur fonctionnement interne. Tout le monde s’accorde à dire qu’en Algérie, aucune institution n’est en mesure de répondre à ces questions.  Une seule association (SEVE) reconnue officiellement par l’Etat les regroupe et dont, de surcroit, l’image est plutôt brouillée.

L’objectif de ce rapport  qui aurait pu s’arrêter là, c’est justement de ne pas fermer la porte à la compréhension de cet espace pour ne pas le condamner au silence dans lequel il est confiné. Il s’agit au contraire de s’interroger sur ce manque total de visibilité et d’analyser les raisons politiques et sociologiques qui en sont les causes. Une fois le diagnostic correctement posé, il deviendra plus facile de proposer des recommandations en vue de pallier à cette difficulté. Ceci constitue actuellement la priorité des actions à mener pour venir en aide à ce secteur.

Dans cette optique, le plan proposé comprendra trois grandes parties :

1/ L’environnement historique, économique et sociologique des entreprises créées par les femmes
2/ Les entreprises créées par les femmes : Etat des lieux, opportunités et difficultés
3/ Recommandations



1. L’environnement historique, économique et sociologique des entreprises créées par les femmes

1.1    Un pays avec une histoire politique et économique difficile et rendue encore plus complexe par la rente pétrolière

L’Algérie a obtenu son indépendance en 1962 après une guerre de libération qui lui a causé de grandes pertes humaines et matérielles ainsi qu’une profonde restructuration des classes sociales ; il en résulta  de profondes modifications,

ü  dans le champ social : déplacements importants de populations à l’intérieur et à l’extérieur du pays
ü  dans l’exercice du pouvoir : plusieurs sources de légitimité : Islam, participation à la guerre d’indépendance, compétence
ü  dans le partage du capital. La disponibilité d’une importante rente pétrolière ne fera qu’exacerber les luttes pour l’accès au pouvoir en vue de la gestion  et la redistribution de celle-ci.

Aucun système de gestion économique et de légitimité politique n’a pu acquérir jusqu’à aujourd’hui le consensus de l’ensemble de la société, rendant celle-ci plutôt instable.

Pour résumer on peut dire que depuis 1962, deux systèmes de direction économico politique ont été, alternativement, mis en place

- La première phase est celle du lancement de grands projets de développement  économique qui se sont traduits dans la mise en place d’un important tissu industriel financé par  la rente pétrolière sur la base de plans de développement pilotés par l’Etat. C’était l’époque de l’industrie lourde. Applaudi par la population, ce modèle de développement étant fortement créateur d’emplois, il fut par contre fortement fustigé aussi bien par les économistes, les institutions financières internationales, les sociologues et les défenseurs de l’environnement.

Les premiers lui reprocheront d‘avoir privilégié les industries lourdes au détriment de l’industrie légère aux technologies plus facilement maîtrisables par une population globalement sous qualifiée. Les institutions financières internationales y verront un gouffre financier en raison d’un management largement insuffisant. Quant aux sociologues, ils s’inquiètent face aux énormes déplacements de populations rurales, à la recherche d’un emploi, et qui s’entassent dans des bidonvilles autour des pôles  industriels, abandonnant le travail agricole. Les défenseurs de l’environnement ne sont pas en reste dans leur émoi face à la  pollution dramatique que subissent les points d’eau et les terres agricoles suite aux déversements chimiques incontrôlés par les unités de production. 

- La deuxième phase est celle du choc pétrolier de 1986 qui viendra réorienter ces choix augurant l’abandon de l’économie planifiée et gérée administrativement. L’Algérie se rapproche au début des années 90 des institutions de Bretton Woods en vue de conclure un accord d’ajustement structurel. Elle engagera dès lors les réformes structurelles de son économie permettant le passage à l’économie de marché. Un accord de rééchelonnement de la dette suivra à travers la signature d’un accord avec le Club de Paris et le Club de Londres, accompagné d’un Programme d’ajustement structurel (PAS) dont l’application par l’Algérie est strictement contrôlée par le FMI, la Banque mondiale, la BIRD et l’Union européenne.

Suivront aussi plusieurs textes règlementaires portant sur la libéralisation du commerce extérieur et des prix, la promulgation d’une loi sur la concurrence (janvier 1995), la promulgation d’une loi sur la privatisation (1995), la loi sur la Gestion des Capitaux marchands de l’État (1995) inaugurant la séparation de l’État puissance publique de l’État actionnaire. Des réformes  institutionnelles suivront cet arsenal de textes. Une nouvelle constitution introduisant le pluralisme politique sera votée en février 1989. S’engouffrant dans cette brèche des dizaines de partis politiques et d’ONG’s sont alors créées par la société civile.

Il est inutile de s’étaler sur la phase de violence qu’a connu, à partir de cette époque, l’Algérie tant cette tragédie a été suffisamment médiatisée. Ce qu’on peut en retenir c’est qu’outre les importantes pertes humaines et matérielles qu’elle a occasionnées, elle n’a pas facilité la mise en place et la réussite des réformes structurelles engagées au même moment. Cause ou conséquence, ceci est un autre débat et seuls des vrais spécialistes de la question pourront le dire 

On peut néanmoins observer qu’aujourd'hui, l'économie algérienne est ouverte. Le droit algérien offre des incitations pour attirer les investisseurs étrangers, mais il y a loin de la coupe aux lèvres. Malgré un arsenal juridique imposant, l’économie de marché peine à se traduire dans les faits. Des lourdeurs bureaucratiques omniprésentes, des difficultés d’accès au foncier industriel, un système bancaire obsolète, des lourdeurs sociologiques font barrage au plus entêté des investisseurs. Le marché informel fait des ravages, surtout que le pays ne produisant presque plus rien, il importe la majorité des produits consommés localement,

De ce fait et selon les observateurs de la question, si l’économie algérienne  ne se porte pas mal, elle ne se porte pas encore très bien, non plus. On serait selon ces derniers en présence d’un système capitaliste sous développé. Le pays est mono exportateur de pétrole, le niveau des  exportations hors hydrocarbures représentant à peine moins de 6% (selon le FMI), les entreprises  créatrices de richesses ne participent quant à elles que pour 1,2% dans le taux de croissance.  

Le chômage, selon les données officielles de l’Office Algérien des Statistiques (ONS) est de 13,8% en 2007 contre 11,8% pour 2006. Pour les organismes internationaux,  le taux d’inflation serait de 12% et le taux de chômage de 20% pour 2007, ceci si on ne prend pas en considération la demande féminine souvent sous évaluée.
.
La conséquence dramatique de ces incohérences dans la mise en place définitive de l’économie de marché, telle qu’elle est menée, ne délégitime plus tout à fait  aux yeux de la population le système socialiste précédent, population qui en arrive même à regretter les années fastes de l’économie planifiée où le plein emploi était garanti et où, malgré le dirigisme politique, la stabilité sociale était assurée. Capitalisme ultra libéral ou éclairé contre socialisme pur et dur ou socialisme éclairé ?  En tous les cas, c’est bien le débat qui se déroule actuellement au sein de la société civile et on assiste même ces derniers temps à un mouvement de retour, de la part de l’Etat, à un certain dirigisme. Et la crise que rencontre aujourd’hui l’économie capitaliste dans le monde a mis elle aussi ce débat dans l’air du temps.

Pour compléter ce tableau essayons de resituer ces blocages économiques  dans leur incrustation sociologique

1.2    Les résistances au changement du vieux Maghreb ancestral

Ce qu’on peut retenir de tout cela c’est que l‘ouverture du champ démocratique est assez récente, elle date de 1988, 20 ans à peine, l’âge de la majorité et  de raison, dit-t-on. En tous les cas ce n’est rien face à l’histoire. Ce n’est qu’aujourd’hui, suite aux bonnes et mauvaises expériences, que le mouvement associatif commence à entamer sa  phase de maturation qu’il faudra nécessairement accompagner en espérant pouvoir poser les bonnes questions pour avoir les bonnes réponses. Comme pour tout mouvement de maturation, il lui faut marquer des arrêts pour identifier les problèmes et ainsi rectifier le tir. Ceci, si on veut donner du temps au temps pour capitaliser les réussites et identifier les erreurs.

1.2.1        Les réponses du secteur économique aux blocages : le secours de la famille et de la région.

Curieusement ce sont ces mêmes lourdeurs sociologiques qu’utiliseront ces mêmes investisseurs pour contourner la muraille bureaucratique. Les entreprises seront de petites tailles (PME/PMI, micro entreprise), lancées avec des capitaux familiaux, le personnel essentiellement constitué de membres de la famille ou d’amis proches, installation dans la région d’origine pour pouvoir profiter, en cas de besoin, des solidarités régionales et familiales. Il faut se rappeler qu’on est au bord de la Méditerranée et que la structure familiale tribale et régionale a toujours été la cellule d’appui des luttes autour de la création/distribution des richesses.

Ceci est valable aussi bien pour les entreprises créées par les femmes. Il est de notoriété publique que ce sont très souvent le père, le frère, ou un très proche parent qui fourniront les capitaux, le réseau d’amis dans l’administration pour obtenir les agréments et autres documents, les marchés. La femme créatrice d’entreprise, mettra à la disposition de la fratrie son nom (prête-nom) et sa compétence quand elle est universitaire. Les liens du sang sont mis à contribution pour contourner les divers blocages bureaucratiques et parfois en profiter, il faut bien le dire. On sait, en Algérie, qu’une femme qui veut se lancer dans ce chemin parsemé d’embuches pour créer son entreprise a très peu de chances de réussir à mener à  terme son projet si elle ne dispose pas d’un bon réseau familial ou amical. 

La majorité des sociologues, bien que gênés par cette démarche, admettent volontiers que cette phase transitoire est acceptable pour permettre aux femmes de mettre le pied à l’étrier de la création d’entreprise et contourner les résistances au changement sociologique et bureaucratique. La seule ONG véritablement efficace c’est la famille, si on peut dire. A condition bien sûr que cela demeure une phase transitoire pour l’apprentissage du dur métier de créatrice d’entreprise dans un pays musulman et méditerranéen de surcroit.


1.2.2 Les femmes créatrices d’entreprises : entre le poids du passé et les perspectives ouvertes aux femmes dans le monde contemporain

Subissant tout comme les hommes les tracasseries bureaucratiques elles devront comme la tradition le leur enseigne demeurer  de surcroit à l’ombre. Et pour preuve, les femmes chefs d’entreprises et les associations qui les représentent,   font partie  comme on l’a déjà souligné des domaines les plus mal connus du secteur économique national.  Aucun centre de recherche, aucun responsable des associations patronales, aucune institution ou  ministère, enfin tous les organismes officiels en charge de la question ne peut donner un chiffre plus ou moins exact concernant leur nombre. Ils font tous référence, au mieux, à des estimations qui divergent selon les sources..

Plusieurs tentatives de recherche les prenant comme objet (dont un, mené par moi-même) se sont heurtés à un mur de silence. Ces femmes refusent tout simplement de répondre même à questionnaire, par exemple. Il faut savoir que le secret familial reste une des pratiques la plus solidement implantée, la plus respectée du monde méditerranéen. La confiance en l’autre (l’étranger à la famille, el barrani) est de mise, car sous un chercheur peut tout aussi bien se cacher un curieux, un agent du fisc ou un concurrent. Il s’agit peut-être du simple instinct atavique de préserver les secrets de la famille.

Si on sait qu’aucun texte règlementaire ne fait officiellement de différence entre les hommes et les femmes, on est amené à penser que la discrimination est dans la société elle-même et ses pratiques ancestrales à l’égard des femmes, pratiques qui survivent et parasitent même un des secteurs qui se veut le plus ouvert sur l’universalité, le secteur de l’entreprise privée.

Cela fait des siècles que les femmes de ce côté ci de la Méditerranée vivent dans le secret.  Le voile de mystère qui les a toujours entourées  peine à être levé. Bien au contraire, il semble se renforcer depuis quelques temps, à travers la multiplication du nombre de celles portant le hijab.  La société algérienne n’arrive pas à accepter l’occupation de l’espace public par les femmes et elles sont majoritaires à n’accepter d’y faire une incursion que sous contrôle. L’organisation patriarcale et endogame de la famille a d’une certaine façon squatté le secteur économique moderne. 0u l’inverse. Occuper l’espace de l’entrepreneuriat, déjà difficile pour les femmes dans le monde occidental l’est encore plus, ici, où le corps et l’âme des femmes sont l’objet de traitements bien particuliers.

Le voilement du corps et des cheveux semble être  une des conditions posées par la société aux femmes pour accepter leur présence dans l’espace public. Elles sont quelques unes à ne pas rechigner à le faire si au bout du sacrifice elles se trouvent à la tête d’une entreprise, soit comme gérante réelle soit comme prête nom. Leurs mères n’en auraient pas espéré tant.

A cette discrimination sexuelle viennent s’ajouter les discriminations sociales. Une femme issue d’un milieu urbain et si possible aisé a plus de chance de lancer son entreprise qu’une rurale et disposant de peu ou pas de capitaux de surcroit. La ville permet plus aisément l’accès aux paradigmes de la modernité, ceux de l’entreprise, transmis par les mass media, les voyages, les stages, les relations familiales. La modernité nécessite comme pour l’apprentissage d’une langue une immersion totale. Malgré  ces atouts, celles qui réussissent à créer une entreprise rencontrent de grandes difficultés à se visibiliser, à s’imposer, à acquérir des marchés. Certaines d’entre elles, quand elles acceptent de parler en privé, avouent que généralement elles ne réussissent à décrocher que les marchés les plus difficiles, et en plus en échange de petits services (par exemple, recrutement d’un ami ou d’un parent même incompétent et en sureffectif) et surtout lorsqu’elles font l’offre la moins disante.

1.2.3 : Les Algériennes, la scolarisation et  l’emploi

Les algériennes disposent aujourd’hui des instruments considérés comme étant ceux qui permettent d’accéder à la modernité : Un taux de scolarisation très élevé, un recul très fort de l’âge moyen du mariage et une importante maitrise de leur fécondité. Etonnamment, elles restent malgré cela très peu visibles dans l’espace public aussi bien dans le domaine de l’accès à l’emploi que celui des postes de responsabilité, administrative ou politique.


ü La scolarisation

Selon le RNDH (Recensement National de l’Emploi et de l’Habitat) de 2007,  la population algérienne s’élève à 34.800.000 en 2008 dont 49% environ sont des femmes.

A peine 1 point   sépare les hommes des femmes puisque le taux brut de scolarisation combiné (6-24 ans) de celles-ci  est de 70,96%  contre 71,96% pour les hommes. Si les filles talonnent de près les garçons dans tous les paliers du système éducatif, elles les dépassent largement à l’université où elles représentent 56, 25% des effectifs comme le montre le tableau suivant. Par contre elles ne sont pas très nombreuses dans la formation professionnelle où elles représentent à peine plus d’un tiers des effectifs (36,79%). Or ceci est bien dommageable pour la création d’entreprise

Scolarisation par secteur et par genre en 2007
(Tableau élaboré par moi-même à partir de plusieurs sources statistiques)


SECTEUR
Total Général
Filles
%
Education Nationale :    
7.704.733            
3.804.446
49,37% 
Enseignement supérieur 
   938.767
   528.105
56,25%
S/TOTAL
8.643 500
4.332.551
50,12%
Formation professionnelle 
  482. 746
177 612
36,79%
Etablissements spécialisés 
      8.104              
    3 808
46,98%
Enseignement technique 
      1.126
       511
45,38%
S/TOTAL (FP + ET Spéc+ En Tech).
 491.976
181.931
36,97%
TOTAL GENERAL
9.135.476
4.514.482
49,41%


Il faut noter, cependant, que pour la population âgée de 15 ans et plus, l’analphabétisme touche en 2007, environ 2 fois  plus de  femmes (prés de 4 ,3millions) que d’hommes (2,2 millions). Il faut savoir que ce sont les femmes âgées de plus de 40 ans qui sont majoritairement touchées par l’analphabétisme, celui-ci décroissant très fortement dans les strates d’âge inférieures. Ce sont forcément les plus jeunes (6-24 ans) qui présentent le taux de scolarisation le plus élevé au regard des efforts croissants qui sont menés dans ce domaine.

ü L’emploi

Un premier constat, l’emploi des femmes en Algérie est un des taux les plus faibles de la région MENA. Cependant, l’activité des femmes n’a pas cessé d’augmenter  et en 20 ans, elle a quadruplé  passant à près de 20% en 2008,  contre  4,9% en 1986.

Un deuxième constat est à faire. Jusqu’au début des années 90, moment du démarrage des réformes, les femmes occupées étaient dans leur grande majorité (94% en 1989) des salariées permanentes. Ce taux baissera de façon spectaculaire pour atteindre  36% en 2006, le taux des indépendantes et des non permanentes représentant dès lors 64%. Il s’agit ici de pourcentage, car dans la réalité le nombre d’employées permanentes augmentera mais pas au même rythme que celui des indépendantes et des non permanentes.

Sur ces 64% (indépendantes et non permanentes), les indépendantes représentent 36,5%, en 2006 donc un tiers environ. Sont regroupées sous cette catégorie les créatrices d’entreprise de toute taille y compris le travail à domicile (fabrication de pâtes alimentaires, gardiennage d’enfants, tricot, couture, etc.).

L’une des plus importantes nouveautés dans le monde de l’emploi féminin en plus de l’augmentation des indépendantes, c’est l’accroissement des emplois non permanents qui représentent 63,5% donc deux tiers environ (indépendantes et non permanentes).Cette augmentation inattendue est évidemment la conséquence directe de la libéralisation de l’économie, le secteur privé étant devenu le premier employeur de femmes de plus de 30 ans, mariées et peu qualifiées.

Mais ces trois types d’emplois (indépendantes, non permanentes, permanentes) ne représentent que près de 20% de l’activité générales (hommes et femmes). Il est difficile de dire si cette faiblesse est due à l’insuffisance de l’outil statistique, aux tabous sociologiques, à la faiblesse de l’offre d’emploi qui permet à un garçon de même niveau d’éducation de trouver plus facilement un emploi. Ceci donne au chercheur des pistes de recherche qui risquent d’être très fécondes.

Au regard de ces données certains aspects appellent à l’optimisme alors que d’autres  posent problème

Si on veut regarder le côté positif on apprend que ces femmes travailleuses  représentent plus de 60% des effectifs des enseignants de l’éducation nationale, plus de 60% des effectifs des professions médicales, près de 50% des effectifs des enseignants universitaires et  plus de 35% du personnel de la magistrature.

Si au contraire on veut voir l’aspect négatif on découvre que les données statistiques montrent que les Algériennes actives abandonnent leur emploi dès le mariage bien qu’elles le fassent de moins en moins, les réformes ayant entrainé une très forte inflation exigeant l’apport au foyer d’un deuxième salaire. Cette donnée est couplée avec l’amélioration de la croissance économique, offrant plus d’emplois et autorisant l’appel plus souvent aux femmes pour les emplois non pourvus par les hommes car parfois moins bien payés et plus précaires. Le second problème est représenté par la faiblesse des femmes dans le secteur de l’administration dont elles ne représentent que 20%. 

ü l’accès des algériennes  aux postes politiques et administratifs

Dans le domaine de l’accès des femmes  aux postes politiques et de la haute administration la situation est plutôt problématique.

On note une représentation bien modeste à l’APN (Assemblée Populaire Nationale) en 2007 où on ne compte 30 femmes députées sur 359 (7,75%). Il en est de même au conseil de la nation où pour la même période elles ne sont que 4 sur 140 sénateurs (2,78%).

Quant au secteur de la haute administration sur 40.489  elles ne sont que 367 femmes (0,90%) ne représentant donc même pas 1%.  En 2002 une femme est nommée ministre chargée de la famille et de la condition féminine. En 2006,  4 femmes sont nommées ministres dont trois déléguées et une ministre de la culture.

Par contre les femmes améliorent leur score dans le secteur  de la justice dans lequel  elles atteignent le ratio honorable de 35,33%.  Elles sont 33 en 2006 à être  présidentes de tribunal. Une femme est procureur de la république,  trois sont présidentes de cour et quatre  présidentes de section au niveau de la cour suprême. Une femme est présidente du conseil d’état.

Que peut-on dire en conclusion ? On note un accroissement prodigieux du niveau d’éducation des filles, l’un des meilleurs dans la région MENA,   une  baisse importante de la fécondité (2,3 enfants par femme actuellement contre 8 dans les années 70), l’âge moyen au mariage (pour les femmes) est passé de 23,7 ans en 1987 à 29,9 ans  en 2007.

L’urbanisation, la scolarisation, l’accès à l’emploi et à la contraception ont fondamentalement changé les rôles et fonctions des femmes. L’entrée dans le marché du travail qui leur a donné la possibilité d’avoir un salaire, la scolarisation en leur ouvrant des horizons nouveaux, la contraception en leur permettant de limiter le nombre de leurs enfants, ont fondamentalement changé la société et les revendications féminines. Plus autonomes économiquement et psychologiquement elles demandent un changement dans le statut hérité du vieux Maghreb ancestral.





2/ Les entreprises créées par les femmes courage : Etat des lieux, opportunités et difficultés

Malgré les années difficiles traversées par l’Algérie et en dépit de la réalité sociologique du statut des Algériennes, des femmes courage sont sorties de l’espace clos de la maison traditionnelle pour entrer dans la modernité par le biais de l’accès et la maîtrise d’un de ses instruments le plus emblématique, celui de la création d’entreprise.  

On sait, bien sûr, que l’Algérienne a toujours participé au secteur productif. Bien que privées de l’accès libre à l’espace public elles produisaient malgré tout des biens pour le marché : tapisserie, broderies, objets artisanaux, etc.,

Ce qui caractérise la créatrice d’entreprise d’aujourd’hui, c’est sa maîtrise des paradigmes fondamentaux de l’univers industriel moderne : productivité et compétitivité. Ceci entraîne dans son sillage la maîtrise d’autres outils tels que le salariat, la hiérarchisation entre les hommes, le droit du travail, la fiscalité, etc. On voit bien que la nuance est de taille et son  appréhension nécessite des approches différentes aussi bien de la part du chercheur  que de l’homme politique.

2.1 Les entreprises créées par les femmes : quelques estimations

Selon les données fournies par le ministère du commerce,  112. 413 femmes sont inscrites au registre du commerce. Ces entreprises interviennent à 36% dans les services, à 26,5% dans la production industrielle, à 17,4% dans l’importation et à 17% dans le commerce de gros et de détail.

Par ailleurs, selon les statistiques de l’ ANGEM (Association Nationale de Gestion du Micro crédit), 6700 petites entreprises ont été créées par des femmes dans le cadre du projet non rémunéré (PNR). Toujours selon l ANGEM,  l’entrepreunariat  féminin se répartit comme suit : En tête du peloton on trouve 2830 petites entreprises qui sont dans l’industrie, suivies par 1800 dans l’artisanat, le  bâtiment et les travaux publics  et enfin 1661 dans l’agriculture. Les autres 409 micro entreprises se situent dans diverses autres activités (couture, pêche, agroalimentaire, etc.).

Les données de l’ANSEJ (Agence Nationale de Soutien de l’Emploi des Jeunes) montrent quant à elles que dans ce secteur  les femmes ont créé  11. 524 micro entreprises (voir tableau ci-dessous).  On constate que le plus grand nombre de projets se situe dans les services, les professions libérales, l’artisanat et l’industrie, le reste  se répartit entre les secteurs de la maintenance, de l’hydraulique, du bâtiment (BTPH), l’agriculture, le transport de marchandises et de voyageurs

Les données statistiques variant d’une source à une autre, celles-ci ne peuvent être considérée que comme des indications sur une tendance générale.




Répartition des micros entreprises créées par les femmes
par secteur d’activité

(Source ANSEJ au 30 06 2007)

secteurs d’activité
Nombre de projets
hommes
femmes
Taux de féminité
            %
Services
     24438
    18549
     5889
      24
Transport Voyageurs
     12057
    11651
      406
        3
Artisanat
     12578
    10032
    2546
       20
Transport marchandises
     11125
    10831
       294
         3
Agriculture
     10125
      9395
       628
          6
Industrie
       4480
      3735
       745
        17
BTPH
       3405
      3277
       128
          4
Profession libérale
       2077
     1242
       835
        10
Maintenance
       1392
     1346
       46
           3
Pêche
        348
       348
       0
           0
Hydraulique
        240
       233
       7
           3
Total  
               82 136               
70 639            
11 524                
                     14




2.2 Les femmes créatrices d’entreprises et leurs associations :

Sur 23 associations nationales agréées officiellement, on ne trouve que deux associations féminine dans le domaine managérial dont une seule a son agrément.

SEVE (Savoir Et Vouloir Entreprendre) a été la première association des femmes managers à voir le jour le 12 juin 1993, lors d’une assemblée générale comprenant 80 femmes d’affaires issues aussi bien du secteur agricole, artisanal  et industriel que celui des services (concessions automobile, import/export, informatique). Il s’agissait et il s’agit toujours de micro entreprises employant 5 à 6 personnes.

Selon sa présidente[1] : Au moment de sa création elle rassemblait des femmes issues aussi bien du secteur privé que du secteur public. Son objectif était de donner un cadre d’expression aux femmes créatrices de petites et moyennes entreprises en vue de faire connaitre leurs revendications et les rendre plus visibles dans le champ économique comme partenaires, créatrice d’emplois et participant à la croissance économique. C’est plus une organisation de politique économique que syndicale.

Son objectif était d’aider les PME/PMI à : accéder aux financements,  faire tomber les barrières bureaucratiques, faciliter  l’accès au foncier industriel, apporter une aide dans le domaine de la formation et la concrétisation des projets, faciliter l’acceptation des projets un niveau de l’ANDI, l’ANSEJ.
Sa structure obéit au règlement régissant les associations non gouvernementales dictées par le gouvernement algérien. Sa direction est assurée par 6 personnes dont  une présidente, une vice-présidente, une secrétaire générale, une secrétaire générale adjointe, une trésorière et son adjointe. Le mandat de ce bureau est de 6 ans renouvelable. Idem pour les 3 déléguées régionales à l’Est à l’Ouest, le Sud et le centre du pays. Elle réunit aujourd’hui autour de 50 membres qui paient une cotisation annuelle de 5.000,00 DA. Cet apport constitue leur unique financement mis à part un petit financement du PNUD.

Cette association qui constituait une première dans le monde des affaires algériens à structure plutôt masculine a provoqué dès sa création un fort engouement et fut fortement médiatisée. Elle était de tous les manifestations économiques internationales,  Elle est membre depuis 2002 de l’Association Mondiale des Femmes Chefs d’Entreprises. Elle participe aux grandes rencontres internationales organisées par la Banque Mondiale et euro-méditerranéenne et au congrès du dialogue Nord Sud. Elles participent également aux tripartites, (gouvernement, syndicat, patronat). Elles déclarent avoir de bonnes relations avec les associations patronales algériennes.

AME  (Association des Algériennes Managers et Entrepreneures) est née suite à une scission avec SEVE en 2002 et comme conséquence de l’adhésion de SEVE à l’Association Mondiale des Femmes Chefs d’Entreprises dont le règlement ne permet pas la présence de femmes issues du secteur public. AME regroupe des femmes issues des secteurs public et privé. Son objectif est de défendre auprès des banques les projets des  femmes pour l’obtention de microcrédit, mobiliser celles-ci pour les amener à faire partie des associations professionnelles, les chambres de commerce en vue de leur ouvrir une fenêtre sur le monde de l’entreprise et ses difficultés. Cette association n’a toujours pas d’agrément

3. RECOMMENDATIONS 

Au regard des difficultés que nous venons d’énumérer la première recommandation qui semble-t-il devrait être faite est celle de créer un

OBSERVATOIRE DES ENTREPRISES FEMININES ALGERIENNES

Les actions menées par cet observatoire seraient les suivantes :

ü  Mise en place d’une banque de données regroupant toutes les données statistiques liées à l’entrepreneuriat féminin
ü  Développer des activités de recherche/action
ü  Développer des actions de formation
ü  Développer des actions de mise  à niveau : recherche/innovation, modernisation de l’outil de production, amélioration de la gestion administrative, NTIC
ü  Accompagnement des créatrices (débutantes) d’entreprises pour le montage des projets et la recherche de financements
ü  Développer le travail de proximité surtout dans le rural en vue de venir en aide aux petites activités agricoles et artisanales.
ü  Organiser des rencontres nationales et internationales (colloques, congrès, etc.).
ü  Assurer le transfert de compétences et être une passerelle entre le national et l’international, développer des partenariats nationaux et internationaux
ü  Créer un lien avec les Algériennes expatriées ainsi qu’avec les chefs d’entreprises  occidentales. Ceci en vue de créer une dynamique d’échange d’expériences,  de constituer un groupe de pression pour l’acceptation des projets, décrocher des marchés, monter un projet, organiser un partenariat
ü  Encourager les Algériennes expatriées dotées d’une bonne expérience professionnelle à créer leur entreprise en Algérie, ou à être consultante pour assurer la formation et la mise à niveau pour aider les Algériennes à s’adapter aux normes internationales pour affronter un marché mondialisé et faire face au marché informel.
ü  Associer le ministère de la famille et de la condition féminine à ces actions
ü  Faire participer les associations aux actions menées par le patronat comme la Charte de bonne gouvernance adoptée  10/03/09 par le FCE (Forum des Chefs d’Entreprises) et CARE (le cercle d’action et de réflexion autour de l’entreprise)
ü  Faire participer les associations aux actions du gouvernement comme l’élaboration de la stratégie industrielle adoptée par le ministère de l’industrie
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Notes:
[1] Françoise Agli, vice présidente de SEVE, Revue Partenaires N° 74
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Analyse sociologique de la place du féminin en terre d’Islam

                          Le féminisme caché du Soufisme  ou l’Islam du quotidien

Une petite précision s’impose d’abord. Il n’est pas question ici d’un discours politique sur le religieux. Ni  d’un discours religieux sur la religion.  L’objectif est de proposer au débat quelques orientations pour  commencer à fonder une analyse sociologique de la place du féminin en terre d’Islam, lequel  n’a pas été toujours et partout synonyme d’exclusion comme on le lui fait dire.  Bien qu’il le demeure encore dans certains domaines comme l’héritage par exemple.  La place des femmes dans l’Islam visitée par les orientalistes dans les mille et nuits , par exemple, bien qu’intéressante ne constituera pas non plus l’objet de cette démarche.
Pour ma part, j’ai choisi d’interroger la situation des femmes dans l’Islam soufi et cela pour deux raisons. La première est que, malgré sa forte prégnance sur les sociétés maghrébines et plus particulièrement sur les femmes, il est ignoré et souvent méprisé en raison de certaines formes de charlatanisme qu’il  a pu revêtir dans les moments de décadence de l’Islam, mais cela n’a pas toujours été le cas. Il a constitué et constitue encore l’Islam du quotidien et surtout l’Islam des femmes, ce qui représente son intérêt premier. La deuxième, c’est la place que le soufisme a accordé aux femmes étant le seul depuis la Révélation à avoir donné un rôle de direction religieuse aux femmes. Et ce n’est pas rien. Je cite ici le cas de Lalla Zeineb (1852-1905) de la zaouïa d’El Hamel à Bou Saada sur les hauts plateaux algériens.
Quant après le  décès de son père en 1897, Lalla Zeineb une femme célibataire âgée alors de 45 ans, prit la direction de la zaouïa sur recommandation de celui-ci,  la société algérienne patriarcale et colonisée était en pleine décadence. Décadence qui aurait pu provoquer un fort mouvement de contestation. Il n’en fut rien, les rares mouvements de désaveu  vinrent d’abord de ses cousins et ensuite du pouvoir colonial. Les uns acceptèrent difficilement de se voir déposséder de l’exercice du pouvoir et l’autre craignait pour son autorité. Mais tous les deux ont fini par l’accepter et elle demeura aux commandes jusqu’à sa mort à l’âge de 53 ans. Il faut savoir qu’à l’époque,  la zaouïa qui avait 40 000 adeptes comptait 164 Moqadem dans 29 zaouïas disséminées à travers tout le pays. Celles-ci regroupaient 168 Talebs et 2000 étudiants.  Toujours vêtue de blanc, la tête recouverte d’un foulard tout aussi blanc, elle recevait ses adeptes, femmes et hommes,  qui lui baisaient le dos de la main quand elle leur donnait  la baraka. Il faut noter que cette démarcation des traditions pour imposer l’Islam réel est le fait de Soufis connus pour être les plus pieux parmi les plus pieux. Plus proches des pratiques religieuses asiatiques ils prescrivent la méditation, l’isolement, la purification pour une élévation vers Dieu. Pour eux Dieu est beau et aime la beauté.
Bien que tout à fait exceptionnelle, cette place donnée par le maraboutisme à une femme montre bien que tout dépend du point de vue  par lequel on aborde le texte sacré. 
L’accès des femmes à la direction des affaires et plus particulièrement  celles du religieux, direction qui leur a toujours été interdite dans toutes les religions, est un signe indiscutable de modifications profondes dans une société. Il annonce  souvent, mais pas toujours, l’avènement de la démocratie ou la préparation de son avènement. C’est pourquoi à un moment où l’interprétation extrémiste ritualiste occupe tout le discours religieux, il est bienvenu  de revisiter l’histoire ancienne et récente de celui-ci pour mettre en valeur ses tentatives heureuses de démocratisation.
Pour illustrer cette ouverture faites aux femmes par l’Islam  on peut citer d’autres exemples.  En Kabylie, Lalla Fatma n’Soumer qui participa aux combats les armes à la main, El Kahina l’aurésienne qui après avoir combattu les musulmans se convertit à l’Islam. Et bien d’autres figures emblématiques en dehors du contexte purement religieux mais dans un pays musulman, comme Jazya chez les Bénou Hilal, et Hayzya chez les Ouleds Djellal, toujours sur les hauts plateaux algériens. La première connue pour sa grande beauté servit de médiateur dans la guerre qui opposait Zénètes et  Bénou Hilal, la seconde refusa le mariage arrangé avec son cousin germain préférant épouser l’homme qu’elle aimait. Jusqu’à aujourd’hui elles sont chantées par la poésie populaire et la mémoire collective qui leur ont consacré une place de choix. En d’autres termes elles ne font  l’objet ni de déni ni d’ostracisme. Elles sont adulées, chantées et respectées. On peut aussi citer Tin Hi Nan, la reine des Touaregs, les fils des Sanhajas fondateurs d’une grande civilisation musulmane. 
Au milieu des débats houleux d’aujourd’hui,  ces  femmes nous interpellent à partir de leurs tombes pour nous rappeler la place centrale qu’elles ont occupée dans des sociétés musulmanes rigoristes où les formes patriarcales bien que dominantes commençaient à s’effriter.  Il y a de cela plus d’un siècle pour certaines et beaucoup plus pour d’autres,  elles se sont opposées à l’exclusion, elles ont exercé le pouvoir, elles ont créé une sorte de césure dans leur exclusion séculaire. Si elles ont pu résister c’est qu’elles étaient soutenues par des hommes, père ou mari et par les institutions religieuses. D’une certaine façon  elles ont créé une voie de non retour, en nous disant que dans l’Islam c’est possible. En remettant en question, par exemple, le mariage endogame par la réhabilitation du sentiment amoureux et du choix individuel  marquant ainsi l’apparition du sujet. La réhabilitation de celui-ci est la base première de la  mise en place d’une société démocratique. Sachant tout cela, les islamistes s’ils n’ont jamais touché aux mosquées, ils ont par contre souvent brûlé des mausolées de saints. Ils continuent à mener une bataille acharnée pour les dévaloriser et les présenter comme ennemies de l’Islam.
Pour conclure rappelons deux faits. La fondation elle-même de l’Islam s’est faite sous le sceau d’une femme,  Sayda  Khadija l’épouse du prophète qui fut la première à croire en sa prophétie et demeura son meilleur soutien jusqu’à son décès. Quant aux chérifs soufis (nobles), descendants de sidi Abdelkader El Djilani, ils  font remonter leur généalogie jusqu’à Fatima bent  Errassoul (la fille du prophète) pour prouver la pureté de leur lignage.  Les Musulmans,  non islamistes bien évidemment, en tirent une grande  fierté et n’hésitent pas à le faire savoir. C’est la mémoire collective, têtue comme chacun le sait, qui explique certainement la facilité avec laquelle aujourd’hui  les parents scolarisent leurs filles, ou le choix de la contraception par la majorité des couples. La modernité est inscrite dans leur inconscient et n’attendait que l’autorisation des autorités religieuses pour s’exprimer au grand jour. Ce qui fut fait. La famille patriarcale endogame, une tradition et non un enseignement religieux, a  de bien mauvais jours devant elle.
Pour en revenir  au foulard dit islamique, puisqu’il est l’objet premier des débats actuellement, il suffit de le considérer comme un choix individuel, une sorte de continuation virtuelle de la tradition dans un univers où l’identité se sent trop menacée par des changements sociaux très rapides que beaucoup n’intègrent pas facilement. Une sorte de repère identitaire laissé au libre choix des individus et réservé à leur vie privé. Le niqab quant à lui, il n’a rien à voir  avec la tradition et encore moins avec l’enseignement religieux. De quoi s’agit-il alors ? 
Une deuxième conclusion pour finir. La communauté musulmane émigrée a les moyens et  la possibilité de faire connaitre le caractère humaniste de sa pratique mais elle ne le fait pas suffisamment laissant le champ libre aux islamistes. Il est nécessaire de se demander pourquoi.
Il semble bien que, pour ouvrir un dialogue serein entre les deux communautés, il soit nécessaire que le pays d’accueil puisse accepter cet humanisme différent quant il  ne remet pas trop en question ses propres repères. C’est pourquoi, dans un premier temps, on pourrait parler d’adaptation progressive des uns aux autres. Quant à l’intégration, qui nécessite un abandon de ses propres repères pour valoriser ceux de l’autre, laissons la possibilité aux générations futures d’en débattre entre elles. Celles qui se seront connues et rencontrées sur les bancs de l’école.
Les musulmans installés dans l’hexagone et dans les autres pays d’Europe, ont déjà d’énormes difficultés économiques et sociales. Leurs populations ne les acceptent  pas toujours facilement bien qu’ils rendent d’importants services économiques. L’exil n’est un plaisir pour personne. Ne les accablons pas trop en leur demandant trop de sacrifices en allant jusqu’à chercher à modifier le noyau dur de la personnalité, c’est-à-dire leur identité.  Leurs us et coutumes  leur servent de refuge dans leur solitude. Il revient par contre aux populations émigrées d’exposer la dimension humaniste de leur culture en commençant par  lui ôter  la coloration agressive et vindicative que lui ont donnée les islamistes pour la dévaloriser. 
On voit que beaucoup de chemin reste à parcourir ensemble, et chacun devra certainement  faire un pas vers l’autre pour rendre agréable le vivre ensemble.
Souâd     KHODJA, 12/01/10













 











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